la consommation des contenus d’actualité des internautes

Par Fabien Granjon, sociologue

Ces dernières années, l’offre d’information s’est sensiblement étendue sous l’effet du développement conséquent de la presse quotidienne gratuite et, plus encore, des contenus liés à la télévision et Internet. Par ailleurs, les potentialités liées à la numérisation et les « nouveaux » services qui lui sont attenants offrent de nouvelles possibilités de mobilisation des contenus (catch-up TV, podcast, streaming, etc.). Combinées à une multiplication des équipements, elles diversifient les modalités d’appropriation de l’actualité.

L’écosystème médiatique et informationnel se complexifie tant en amont (production, diffusion), qu’en aval (réception) et se trouve structurellement fragmenté. En effet, sur la profusion des programmes et des contenus mis à disposition viennent se greffer de nouveaux usages qui déplacent les routines et les expériences informationnelles des individus sur différents types de terminaux et supports (multi-écrans, délinéarisation, agrégation de contenus, etc.). Nous rendons compte ici de quelques-unes de ces évolutions.

des medias traditionnels toujours bien présents

Les médias traditionnels continuent de dominer massivement l’univers médiatique des Français.

97 % des internautes français consultent un média « traditionnel » à des fins d’information au moins une fois par semaine. Ils sont 93 % à mobiliser la télévision, 77 % la radio et 59 % la presse. Pour s’informer, les internautes privilégient donc les médias les plus courants qui continuent de dominer massivement les univers médiatiques des Français. Cette allégeance aux médias traditionnels ne doit toutefois pas faire oublier qu’Internet prend une place notable dans les pratiques d’information des internautes. Ils sont en effet 58 % à consulter Internet pour se tenir au courant de l’actualité au moins une fois par semaine. Le réseau des réseaux prend donc une importance comparable à celle de la presse dans les manières de se tenir informé de l’actualité. Pouvoir s’informer facilement et rapidement est d’ailleurs présenté comme l’une des principales raisons pour lesquelles les individus adoptent Internet.

 

 

En termes de consommation des contenus d’actualité, la « règle » est celle du mix-médias. Quotidiennement, 42 % des internautes mobilisent ainsi différents médias traditionnels, tandis qu’ils sont 40 % à y adjoindre Internet. Si l’on s’intéresse aux fréquences hebdomadaires, les couplages médiatiques comprenant de l’Internet deviennent alors largement majoritaires (59 %) tandis que les mix-médias traditionnels ne représentent plus que 35 %. La population consommant des contenus d’actualité sur Internet est aussi celle qui en consomme le plus à la télévision, à la radio et dans la presse de façon quotidienne. S’il arrive certaines fois que les usages d’Internet à des fins d’information en viennent à supplanter des activités de consommation d’actualité traditionnellement ancrées dans les médias de masse, ils ne se substituent jamais complètement aux pratiques développées sur les supports les plus traditionnels, venant plus sûrement les compléter.

un rapport aux medias en évolution ?

Les internautes partagent le sentiment d’être (trop) fréquemment sollicités par des offres d’information. Si les réponses pratiques apportées à l’abondance informationnelle peuvent être différenciées, il n’en reste pas moins vrai que l’impression de se trouver face à une offre excédant les possibilités de consommation d’un individu reste largement partagée. Polymorphes et omniprésents, les contenus d’actualité sont appréhendés comme un matériau envahissant dont il devient nécessaire d’apprendre à tirer profit. On pourrait penser que l’offre informationnelle, parce que foisonnante, initierait une consommation de l’actualité plus étendue, plus complète, plus régulière. Le constat est tout autre. Le détachement des personnes de leurs préoccupations les plus immédiates (i.e. d’une information de proximité touchant à leur quotidienneté) pour une lecture d’information plus hétéroclites est un phénomène porté pour l’essentiel par des consommateurs ayant une appétence pour les contenus d’actualité les plus généraux. Elle est héritée d’une logique sociale et culturelle qui ne saurait être seulement le fait d’un changement de l’environnement sociotechnique. De fait, les individus qui mobilisent avec la plus grande curiosité l’offre informationnelle, sont ceux qui disposent du niveau d’éducation le plus élevé. Ces derniers conservent l’assurance de pouvoir se tenir pleinement et facilement informés, quel que soit le sujet considéré. Chez les plus démunis en capital culturel, l’abondance médiatique, en revanche, a davantage tendance à provoquer le sentiment d’être dépassé par un monde environnant qui apparaît de plus en plus complexe. Ils ressentent également une certaine difficulté à exercer leur citoyenneté en se tenant informés. Si les consommateurs d’actualité appartenant à cette catégorie de personnes reconnaissent assez souvent la richesse des opportunités informationnelles ouvertes par Internet par rapport aux médias traditionnels (diversité de contenus, de formats d’énonciation, de points de vue, etc.), ils restent de préférence attachés à ces derniers et notamment à la télévision. Celle-ci leur offre un ensemble d’informations à portée collective, partagé par le plus grand nombre et sur lequel ils peuvent s’appuyer pour avoir une connaissance qu’ils jugent le plus souvent suffisante pour se sentir en prise avec ce qui se passe.

des routines d'information en mouvement

Une des manières de « gérer » la profusion est sans aucun doute d’organiser sa consommation autour d’un certain nombre d’habitudes. La consommation d’actualité se structure assez fortement autour de routines : la radio pour commencer la journée, la lecture de la presse quotidienne gratuite dans les transports en commun, la consultation de sites et autres blogs d’information avant d’entamer le travail, le visionnage du journal télévisé à vingt heures, etc., constituent souvent des activités stabilisées et stabilisantes à partir desquelles s’organisent la grande majorité de la consommation d’actualité. Elles rythment et ponctuent les journées jusqu’à en devenir des repères importants qui fondent le sentiment d’être en prise avec le monde et la réalité. Elles structurent concrètement certains engagements pratiques, comme la possibilité de discuter de certains sujets ou de se forger une opinion. Même si l’information est l’objet d’investissements divers (intérêt et attention), elle tend néanmoins à s’appuyer sur des formes de consommation ritualisées dont les fréquences peuvent par ailleurs varier considérablement (lire la PQN le weekend, écouter telles émissions radio plusieurs fois dans la semaine, consulter un site d’information en ligne tous les jours, etc.), mais dont la récurrence introduit un usage qui est assez souvent appréhendé sur le mode de la nécessité. Davantage que l’étendue des informations mobilisées, ce sont les pratiques itératives qui semblent être au principe du sentiment qu’éprouvent les enquêtés quant à leur appartenance à certains publics : en premier lieu, ceux des médias qu’ils fréquentent (« les lecteurs de Libé », « les auditeurs de France Inter », etc.), mais aussi celui de la communauté imaginée des citoyens auxquels ils estiment être reliés du fait de la simultanéité de leurs activités de consommation d’information.

« Depuis que j’ai Internet au travail, je vais sur les sites d’information pendant un moment de  flottement ou pendant la pause »


L’usage d’Internet à des fins d’information contribue parfois au déplacement de ces routines. Le recours à la toile peut par exemple modifier durablement les usages de l’actualité qui étaient jusqu’alors plutôt bien ancrés, en les déplaçant/modifiant vers d’autres usages en ligne (e.g. ne plus lire la PQN et y préférer des consultations sporadiques en ligne). Les pratiques d’information s’agrémentent alors d’usages d’Internet qui bien souvent n’ont pas le caractère stabilisé des usages préalables et modulent les façons dont les enquêtés envisageaient jusqu’à maintenant de consommer des contenus d’actualité. Si Internet permet une diversification des sources, il permet également le développement d’autres formes de pratiques d’information qui viennent par exemple se loger au creux des emplois du temps, profitant d’une pause, d’un moment de détente ou d’un surf « opportuniste » pour mobiliser des news d’origines diverses. Les consultations en ligne viennent alors s’ajouter aux modalités consommatoires courantes en complétant certaines des informations d’abord trouvées dans les médias traditionnels. Cette pratique peut par ailleurs devenir routinière en sa forme générale (systématiser le principe de redoublement des sources), aussi bien qu’en des modalités plus spécifiques, fixant alors plus précisément des parcours ou des espaces à arpenter (e.g. sur Rue89 ou Mediapart »).

rapidité, concision, diversité

Certains enquêtés soulignent combien leurs manières de « lire » l’information se trouvent partiellement réagencées par des habitudes de consommation plus soucieuses de rapidité, de concision, de diversité, etc. La réduction sensible de la taille des articles en ligne sur les sites d’actualité, l’enrichissement multimédia des récits et la multiplication des liens hypertextes conduisent à des orientations nouvelles dans les pratiques de lecture et d’assimilation des contenus informationnels. Sur Internet, la diversité des sources d’information entraîne une variété des formes énonciatives qui fait se côtoyer des contenus courts et longs, impliqués et distanciés, subjectifs et argumentés, expressifs et experts, et dont l’intérêt tient aussi au caractère hypermédia et réticulaire de la structure de publication (liens, moteurs de recherche, flux RSS, etc.). C’est cette dernière spécificité qui se présente en dernière analyse comme la plus prescriptive du dispositif.


© Christophe Guibbaud/ABACAPRESS.COM pour Orange



Les pratiques d’hybridation de textes disparates couplées à des formes d’attention flottante, sont des usages relativement répandus parmi les internautes consommant de l’actualité en ligne. Les jeunes publics, très investis dans les usages d’Internet, mais délaissant la lecture sur support papier semblent tout particulièrement sensibles à la facilitation de leurs modalités de consommation. Habitués à s’exposer à une variété plus importante de contenus selon des modalités d’attention moins soutenues, le « mix pratique » à la base de leurs routines médiatiques façonnées par Internet, les engage peut-être plus facilement dans des modes de consommation plus flottants. Concernant les pratiques audiovisuelles (surtout la télévision, mais aussi la radio), une enquète sur les pratiques culturelles des Français souligne l’existence de changements assez radicaux dans les modalités de consommation : les durées se stabilisent, voire diminuent chez les plus jeunes, tandis que les fréquences tendent à augmenter. Sans que l’on puisse y voir exactement le même phénomène, la consultation en ligne (d’information, mais aussi d’autres types de contenu) répond à des modes de consommation qui privilégient également des logiques d’hybridation, et d’enchaînement qui dessinent des usages sensiblement plus erratiques .

Les informations mobilisées en ligne sont souvent celles dont l’accessibilité est rendue immédiate.

Nos matériaux d’enquête relativisent également l’importance des formes de recherche de l’actualité qui seraient forcément actives, volontaires, ciblées et tournées vers une optimisation des ressources. Pour les internautes qui s’engagent dans de tels usages, les modules d’information mobilisés sont plus souvent ceux dont l’accessibilité est rendue immédiate et dont la consultation se présente comme une opportunité fortuite. La réception d’un courriel comprenant un lien hypertexte, des opérations de log-in ou de log-out sur un webmail ou encore la consultation du newsfeed d’un site de réseau social sont autant d’occasions d’une mobilisation de contenus d’actualité fondée sur des « hasards heureux ». Dans ce nouveau contexte, plus les informations sont concises et se rapprochent formellement de la dépêche d’agence et plus elles semblent recevables et seront appréciées des individus qui s’en saisissent.

transformation des modalités de consommation de l'actualité

Le répertoire des usages sociaux de l’actualité, ancré dans le quotidien des internautes tend à se complexifier, mais sans être foncièrement bouleversé. Les médias de masse traditionnels conservent ainsi une prééminence et les ressources en ligne sont mobilisées le plus souvent en complément des routines d’information qui existaient préalablement aux usages développés sur Internet. Certaines formes de consommation semblent révéler quelques changements quant aux rapports entretenus avec l’information. Si l’origine de cette évolution ne peut être imputée directement aux seuls usages en ligne de l’actualité (e.g. l’inflation de l’offre informationnelle), Internet contribue néanmoins à transformer les modalités de consommation de l’actualité, notamment chez les publics les plus jeunes.


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