génération Y et NTIC

Dossier coordonné par Anca Boboc, sociologue

Le discours autour de la Génération Y, très prégnant en marketing ou en ressources humaines, soutient que ces jeunes avec des «compétences innées» en matière de TIC, vont bouleverser le monde de l'entreprise. Qu’en est-il ? Quelles sont les caractéristiques de cette population tant d’un point de vue de l’adoption des TIC que de son rapport au travail ? et au final la génération Y apportera t-elle de nouvelles pratiques de communication dans l’entreprise ? C’est ce à quoi tente de répondre cette analyse issue d’une étude qualitative réalisée en 2010 auprès de jeunes actifs nés après 1980.

la génération Y en quelques chiffres

La « Génération Y », population appelée également "Digital Natives", "Millennials", "Echo Boomers", "Net Generation", regroupe des jeunes nés entre 1980 et 1990 (voire 1995 selon certains auteurs). Sa principale spécificité serait le fait que ses membres aient évolué dans un environnement fortement marqué par l'utilisation des TIC. Elle est appelée "Y" parce qu'elle suit la génération "X" qui regroupe des personnes nées entre 1960 et 1980. Celle-ci suit, à son tour, les baby boomers, nommés ainsi pour avoir reconstruit la société après la guerre. Par rapport à eux, la Gén X ne vit que dans une société de consommation, d'où son image de génération "anonyme", "X".
Cette population est aujourd’hui constituée d’environ 9 millions de personnes dont un peu plus de la moitié (55%) occupent un emploi. Par conséquent, environ 1 actif occupé sur 5 est "digital native" ; parmi ces "digital natives" seulement 9% sont des cadres.

de forts utilisateurs des TIC dans la sphère privée

Qu’il s’agisse de l’usage des mobiles, d’internet ou des réseaux sociaux la génération Y a indéniablement une longueur d’avance en matière d’usages des TIC.
Comme nous le montre le graphique ci-dessous (données CREDOC 2009), les « digital natives » font partie des populations les plus équipées  en ordinateur (85 à 89%  sont équipés) et comptent également une très forte proportion de connectés à Internet.



Leurs usages des réseaux sociaux sont plus plus répandus que dans l’ensemble de la population. En effet 65% des 18-24 ans ont participé à des réseaux sociaux type Facebook, Myspace,Linked In au cours des 12 derniers mois, contre 23% de l'ensemble de la population.

En ce qui concerne l’usage des mobiles, 98% des 18-24 ans disposent d'un téléphone mobile, contre 82% de l'ensemble de la population. 27% des 18-24 ans naviguent sur Internet depuis leur mobile, contre 13% de l'ensemble de la population.

leur lien à l'entreprise : fragile et temporaire

Une rupture importante qui caractérise ces jeunes nés après 1980 est l'installation massive dans une situation de fragilité économique.

Premiers à être touchés par la crise, ils sont victimes du chômage. Depuis 1980, le taux de chômage des jeunes n'est jamais descendu en dessous de 15% et continue aujourd’hui de s’accentuer. Entre avril 2008 et fév 2009, le taux de chômage a en effet  progressé de 18% en moyenne en touchant particulièrement les jeunes hommes de moins de 25 ans (dont le taux s’est accru de 41%)



Le lien à l'entreprise a donc encore un caractère fragile et temporaire (stages, CDD, contrats d'apprentissages) pour 42% des actifs occupés de la Génération Y . En fait, nous assistons à l'augmentation du nombre de jeunes diplômés par rapport aux générations précédentes, ce qui conduit à un phénomène de déclassement du travail. Ainsi seulement 9% des 15-29 ans sont des cadres/professions intellectuelles supérieures (33% sont des employés et 30% des ouvriers).

la net generation et leur rapport au travail : une distanciation ?

Du point de vue de la place qu'ils accordent au travail, le discours nous présente ces jeunes de la Génération Y comme mettant le travail au deuxième plan et fortement disposés au changement. La situation économique pousse effectivement les jeunes à se détacher du travail, même si  l'épanouissement dans le travail reste au centre de leur construction identitaire.


L'instabilité de leur environnement explique les horizons temporels courts qui caractérisent, par exemple, leurs attitudes au travail. Par rapport aux générations précédentes, les jeunes de la Génération Y sont en quête d'une réciprocité négociée avec l'entreprise à plus court terme : ils souhaitent avoir des retours rapides pour leurs investissements vis-à-vis de l'entreprise.

Leur rapport au collectif est orienté vers un "individualisme coopératif" . Autrement dit, les jeunes réclament une marge importante d'autonomie dans le travail, mais aussi une quête de complémentarité des compétences et des modes relationnels, plus directs (y compris au niveau managérial).
Nous sommes dans ce cas face à des mutations profondes du monde du travail et pas seulement face à un effet qui caractériserait cette génération en particulier.

une revendication forte de l'équilibre entre vie privée et professionnelle

Le discours nous les présente aussi souvent comme mélangeant vie privée et professionnelle jusqu'à la confusion. En effet, les jeunes de la Génération Y semblent rechercher un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle par rapport aux générations précédentes : accent mis sur la possibilité d'adapter les horaires à la vie privée, souhait de télé-travailler ponctuellement, intérêt pour les dispositifs permettant de moduler la place du travail dans leur parcours de vie (ex. congé parental).
L'arrivée dans l'entreprise des jeunes correspond à un moment particulier de leur cycle de vie, où les sphères privée et professionnelle sont en cours de construction : pas encore de contraintes professionnelles fortes (car pas encore des responsabilités importantes dans l’entreprise) et pas encore non plus de contraintes personnelles (car, souvent, ils n’ont pas encore fondé une famille).
Par conséquent, une première tendance qu'ils ont en arrivant dans l'entreprise est de séparer vie privée et professionnelle et non pas de mélanger à confusion ces deux sphères. De ce point de vue, nous sommes, peut-être, plus devant un effet d’âge que devant un effet générationnel.

la génération Y, un potentiel pour la diffusion des pratiques TIC innovantes

L'étude a montré  que les jeunes représentent un potentiel en matière de pratiques de communication pour l'entreprise puisqu'ils peuvent diffuser, au niveau de leur collectif de travail, des pratiques de communication de la sphère privée vers la sphère professionnelle.

Deux éléments principaux concourent à ces transferts opérés par les jeunes de la Gén Y.
Le premier concerne leur équipement qui est plus important dans la sphère privée que dans la sphère professionnelle. Fraîchement entrés dans la vie professionnelle et n'ayant pas encore des postes de haute responsabilité, ils se retrouvent moins équipés au bureau qu'à la maison.


Données Chantier d'études "privé-pro" – Orange 2009



Un deuxième élément qui les incite à opérer ce transfert des pratiques est le fait que la familiarité avec les TIC constitue pour les jeunes un facteur d'intégration en entreprise. Les jeunes qui commencent à travailler ont un faible réseau social professionnel. A l'arrivée dans l'entreprise, ils cherchent à avoir d'emblée une valeur ajoutée par rapport aux compétences métier de leurs collègues, déjà en poste depuis un certain temps. Du coup, ils utilisent souvent leurs compétences en TIC acquises dans la sphère privée comme objet d'échange avec les autres.

Prenons quelques exemples de pratiques acquises dans la sphère privée et transposées dans l'entreprise, tels que notre enquête les donne à voir. Un premier cas est celui d'un responsable d'audit thermique, qui a l'habitude d'utiliser des forums dans la sphère privée avant de procéder à des achats. Il transpose cette pratique dans la sphère professionnelle : avant d'acheter un logiciel d'audit thermique pour son entreprise, il regarde sur des forums comment les différents logiciels sont perçus afin de parfaire sa décision. Comme il l'explique, ce qui a fait pencher sa décision d'achat vers un de ces logiciels est la présence des concepteurs sur un forum :

"J'ai porté mon choix sur le logiciel pour lequel le forum était très actif… puisque lorsqu'on se retrouve dans une entreprise seul à travailler sur un logiciel qui ne marche pas très bien, c'est bien d’avoir un forum hyper actif où les personnes qui ont programmé le logiciel puissent répondre dans la journée et où il y a un vrai échange interactif entre tous les utilisateurs". (Responsable audit thermique, 29 ans)

une dynamique inter-générationnelle pour favoriser la diffusion des pratiques TIC innovantes en entreprise

Regardons maintenant de plus près comment l'entreprise peut exploiter ce potentiel local issu du transfert privé-pro des pratiques de communication. En fait, les jeunes n'ont pas le pouvoir de diffuser largement leurs pratiques au niveau de l'entreprise. Ces pratiques de communication commencent à s'étendre lorsqu'une initiative locale des "Gén Y "rencontre une demande organisationnelle, souvent portée par les générations précédentes, comme l'illustrent les verbatims suivants :

"Rendre l'entreprise présente sur Facebook, c'est une idée que j'avais lorsque je suis arrivé dans l'entreprise. Ma responsable a bien compris l'intérêt, j'ai fait un brouillon… ils ont dû en discuter à leur niveau, mais le canal n'est devenu officiel que lorsque le PDG s'est demandé « Comment ça se fait que nous ne sommes pas encore  sur Facebook ? » Maintenant le contenu de la page Facebook est discuté dans nos réunions hebdomadaires"
(Chargé de communication, 27 ans)

Pour que l'exploitation du potentiel TIC représenté par les jeunes soit réussie, il devient nécessaire d'organiser une coopération inter-générationnelle autour de ces projets de diffusion des pratiques de communication innovantes dans l'entreprise : confier aux "GénY" des responsabilités dans des projets leur permettant ainsi de valoriser leurs "compétences TIC innées" en évitant « l'effet de barrière » exercé par les générations précédentes et laisser les Gén X encadrer ces pratiques, en les déclinant d'une manière rationnelle au niveau des processus de l'entreprise.


Si on pense effectivement  que les transformations organisationnelles seront d'autant plus fortes que les "Gén Y" accèdent rapidement à des positions de management et d'expertise dans l'entreprise, alors les impacts seront particulièrement rapides dans les secteurs indiqués dans la figure ci-dessous :


Données Enquête Emploi INSEE, 2007

Qu'en dites vous ?