les contrôleurs des mondes virtuels

Passant du statut de simple jouet électronique pour enfants à celui de loisir intergénérationnel, les jeux vidéo sont aujourd'hui vecteurs d'un marché économique colossal. Mais qu'il s'agisse d'épiques affrontements dans l'espace ou de la gestion de ses animaux de compagnie, les innombrables environnements qu'ils proposent ont pourtant tous un dénominateur commun : l'expérience utilisateur. L’immersion et le plaisir ressenti lors d'une session de jeu sont, en effet, directement liés à la manière dont nous interagissons physiquement avec le monde virtuel. Et de l'avènement de la croix directionnelle au système Kinect de Microsoft, l'évolution des technologies d'interfaçage a profondément modifié la façon dont nous percevons et vivons ces univers numériques. Alors que la guerre des consoles fait rage, l'heure est au bilan de ces 50 dernières années de concepts en tous genres.

un peu d'histoire : Il était une fois, un demi-siècle de contrôleurs...

Dès 1958, Willy Higinbotham créait Tennis for Two pour distraire ses collègues. A l'aide d'un oscilloscope relié à un ordinateur, le scientifique américain posait les bases du jeu vidéo. Alors que le grand public ignorait le concept même de jeu électronique, les contrôleurs rudimentaires de cette simulation de tennis utilisaient déjà un potentiomètre et un bouton poussoir, prémices de nos pads actuels. Repris par les fameux Pong et autres Breakout, la molette s'imposera comme contrôleur principal jusqu'au début des années 80 et à l'arrivée de la croix directionnelle.

Si le principe nous parait aujourd'hui évident, son apparition avec la Famicom (NES) de Nintendo a été, à l'époque, une formidable révolution. Les interactions pouvaient ainsi être multipliées grâce aux combinaisons de touches, améliorant considérablement le plaisir et le confort de jeu et faisant de cette manette une véritable icône. Le milieu des années 80 a également vu la démocratisation des pistolets optiques dans les salles d'arcade, grâce auxquels l'utilisateur n'avait qu'à pointer l'écran pour viser sa cible et (le plus souvent) la détruire. Si la technologie paraissait, à l'époque, révolutionnaire, ses balbutiements dataient pourtant des années 30...

Nintendo NES Zapper et contrôleur

La complexité des jeux a évolué de paire avec celle des contrôleurs. Les années 90 ont vu leur design s'affiner et leurs boutons se multiplier, accompagnant par là le besoin d'offrir une expérience utilisateur toujours plus riche en termes de possibilités. La manette de la Megadrive, par exemple, conçue pour épouser la forme des mains, a vu également apparaître des boutons latéraux pour limiter leur nombre en façade.

La cinquième génération de consoles a elle aussi connu son lot de révolutions ergonomiques. Si la Sega Saturn proposait pour la première fois une gâchette se voulant être une métaphore de l'arme à feu, Sony créait un mythe avec sa toute première console. Introduisant dès 1994 un design qui n'a toujours quasiment pas bougé depuis, la manette de la PlayStation proposait deux sticks analogiques et un design permettant une bien meilleure adaptation pour les utilisateurs gauchers. Trois années plus tard, l'ajout de vibrations impliquaient, pour la première fois, physiquement, l'utilisateur avec l'action à l'écran, et le libérait de la contrainte d'espace avec l'émergence des systèmes sans-fil.


Contrôleurs : Playstation 3 (identique dans la forme à la première version) - Megadrive - N64

D'une manière générale, l'amélioration de l'immersion est le cheval de bataille de l'évolution des contrôleurs. Bien que les innovations majeures ont quasiment toutes été intégrées par les géants de l'industrie, les positionnements ergonomiques de ces derniers demeurent pourtant différents. Et si la bataille des jeux fait toujours rage, le paradigme de manipulation est aujourd'hui au cœur des préoccupations.

le corps et le toucher deviennent des interfaces de manipulation directe

Sublimé par le film Minority Report, la manipulation gestuelle d'éléments virtuels a toujours été l'un des grands fantasmes de la science-fiction. Pourtant, ce principe s'inscrit aujourd'hui dans une réalité commerciale, non sans avoir connu de nombreux essais infructueux. A la fin des années 90, Nintendo dévoilait, par exemple, le Power Glove, sorte de gant équipé de capteurs capable de détecter certains mouvements de l'utilisateur. Novateur, ce périphérique a pourtant été un échec commercial, la technologie n'étant à l'époque pas assez mature pour proposer une expérience de jeu confortable.


Nintendo Power Glove & Sony Eyetoy

Il aura fallu attendre 2003 et l'arrivée de l'EyeToy pour que la reconnaissance de mouvements devienne un paradigme viable. La récente commercialisation du dispositif Kinect ayant été un succès, le principe de manipulation par le corps seul semble avoir été bien intégré dans l'esprit du grand public. L'utilisateur s'affranchit ainsi de tout contrôleur physique, qu'il s'agisse de jeux de sport ou de simplement sélectionner un film à regarder en famille, rendant entièrement transparente la communication avec la machine. Les récentes expérimentations menées par des particuliers sur le périphérique de Microsoft tendent ainsi à prouver que l'utilisation du corps comme manette ne se limitera pas au simple jeu, et s'intégrera à l'ensemble de nos interactions numériques.

 

Contrôle d'un navigateur sous Windows 7 grâce à Kinect & Playstation Move (crédit photo : Digital Trends)

Si ce type de dispositif reste bien moins précis, comparé à un contrôleur classique ou au système Playstation Move, la promesse de fun et d'immersion leur est pourtant bien supérieure. De plus, Kinect pourrait voir l'émergence de nouvelles expériences interactives, à l'image du projet d'intelligence artificielle Milo sensé permettre de communiquer naturellement avec un enfant virtuel.

Si les systèmes Kinect, Wiimote et PS Move utilisent des procédés différents, leur dénominateur commun est celui de la notion du corps du joueur dans l'espace, formidablement bien mis en scène dans le concept Immersive Rail Shooter. Bien que n'étant pas une réponse générique évidente pour l'ensemble des typologies de jeu, le duo clavier/souris restant le plus efficace dans les jeux de tir ou de stratégie nécessitant un ciblage rapide, ils modifient profondément la manière dont nous percevons ces interfaces et les intégrons à notre environnement. Tout comme les jeux tactiles, démocratisés par la Nintendo DS et l'iPhone, tendent à rendre la manipulation concrète par la manipulation directe d'un objet virtuel, ces dispositifs essaient de rendre l'interactivité palpable en utilisant un langage "naturel".

le feedback physique au centre de l'attention

Malgré leurs qualités d'immersion et la "logique" de leur démarche, ces modes d'interaction souffrent pourtant d'un problème commun : l'absence quasi totale de retour haptique.

En ce qui concerne les interfaces entièrement tactiles, l'absence de retour physique se traduit par une manipulation en aveugle impossible, ainsi que par des sensations déroutantes lorsqu'il s'agit d'utiliser des pads virtuels. Les jeux exclusivement développés pour des mobiles multitouch arrivent à contourner cette contrainte via un gameplay entièrement conçu dans cette optique, tandis que les portages de licences sur consoles se contentent d'un contrôleur virtuel souvent peu précis.

Microsoft Kinect & Nintendo Wii Sports

L'absence de retour de force des interfaces Kinect, Move et Wii, malgré la présence de manettes physiques pour les deux derniers, peut devenir problématique dans le cadre de mouvements amples et brusques lors de jeux de sport, par exemple. Si l'utilisateur est un peu trop prompt à simuler un tir ou un combat, il n'est pas impossible qu'il se blesse légèrement, son déplacement n'étant pas stoppé par un médium physique. Au delà des petits accidents ménagers créés par ces nouveaux périphériques, leur faiblesse tient en leur incapacité à simuler la préhension ou la sensation d'un objet réel. La navigation dans l'interface Kinect ne retourne, par exemple, aucune sensation haptique dans les mains de l'utilisateur, les seuls feedbacks étant sonores ou visuels.

Qu'il s'agisse de contrôleurs tactiles ou transparents, leurs modalités d'interaction, bien que différentes, sont à l'heure actuelle figées dans un genre d'immersion à deux vitesses, la contrainte technique rattrapant très rapidement le "Wow effect" ressenti lors du premier contact.

vers une hybridation des modes d'interaction ?

Les récents brevets déposés par Sony auraient tendance à prouver que la future Playstation s'orienterait vers un système de capteur plus complet et élaboré que son concurrent direct, capable, entre autres, de repérer bien plus efficacement les mouvements du joueur dans l'espace. Mais l'amélioration de la précision seule ne constituera en rien une révolution. 

Les environnements CAVE, aux murs entièrement recouverts d'écrans et mis en scène dans le film Ultimate Game, pourraient quant à eux se positionner comme une alternative aux casques de réalité virtuelle. A l'heure où le joueur s'affranchit des manettes, il serait étonnant de revenir à un encombrant dispositif qui, de plus, isole l'utilisateur dans son propre espace, au contraire d'une pièce CAVE qui pourrait être utilisée en groupe. Bien sûr, il faudra sûrement attendre quelques années avant de voir fleurir ce type d'environnement dans le grand public.

 

Immersive Rail Shooter (D. Arenou) & dispositif de retour de force Novint Falcon

Pour améliorer l'expérience utilisateur et compléter l'immersion physique, les futures générations de contrôleurs pourraient prendre en compte les paramètres sensitifs, en s'inspirant soit des actuels systèmes de retour de force, soit par la simulation du toucher au travers de champs de pression par ultrasons dans un avenir un peu plus lointain.

D'une manière générale, les modes d'interaction actuels conviennent à des usages bien particuliers et segmentés. Chaque environnement virtuel ayant ses propres codes et ses propres objectifs, il n'existe sans doute pas de réponse générique unique pour toutes les typologies de jeu vidéo, et le sempiternel duo clavier/souris n'a à priori pas de souci à se faire. Pourtant, la conception de nouvelles expériences interactives passera par l'hybridation de ces différents systèmes, utilisant les qualités de l'un pour combler certaines contraintes de l'autre. Le tout étant de rendre la technologie utilisée aussi invisible que possible pour que l'expérience utilisateur ne soit pas dénaturée.

Crédit Illustration de l'article : Space Trash


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