La "nostalgie heureuse" des débuts d'internet

Nous avons animé un café numérique intitulé "Dans quel internet on vit ?" auquel ont participé 40 internautes d’âge différents. Nous proposons un flashback de ces échanges en plusieurs séquences, dont cette première que nous avons intitulée "La nostalgie heureuse" des débuts d'internet".

Vous pouvez ou bien nous écouter, ou bien lire ce qui suit ci-dessous, comme vous le souhaitez.

 

Nous empruntons la formule "nostalgie heureuse" à la romancière Amélie Nothomb qui a intitulé un de ses romans ainsi. Elle explique qu'en japonais il y a un mot pour qualifier cette nostalgie qui met en joie. A peine avions-nous annoncé le café Dans quel internet on vit ? que surgissait de la nostalgie des débuts de l'internet.

Le souvenir ému du bruit que faisait le modem quand on se connectait à internet

"A chaque tentative de connexion, il y avait toujours ce petit moment de stress. Quand je pense à ce son, cela me rappelle toute ma jeunesse et mes meilleures années internet, les années de la découverte: msm messenger, caramail (qui fut l'un des plus importants portails Web communautaires francophones puis la messagerie web attitrée du portail Lycos français)... et les premiers opérateurs comme club internet, qui nous proposait des forfaits à l'heure." Nous avons retrouvé une vidéo avec le fameux bruit du modem qui grésille. Ceux qui réécoutent aujourd'hui ce son sont émus. On se souvient aussi des parents qui râlaient au sujet des factures quand on passait "trop" de temps à surfer sur le web.

Le champ des possibles s'ouvrait et le savoir devenait accessible plus facilement d'un coup

Un internaute témoigne : "En 1998, je cherchais désespérément un article scientifique pour un mémoire, j'écumais les bibliothèques universitaires. Puis je suis allé sur le site du chercheur aux USA et j'ai récupéré l'article en 5-10 minutes (passage par l'annuaire des universités puis des chercheurs compris)." De liens hypertextes en liens hypertextes, on avait la sensation de pouvoir accéder à un monde infini. A naviguer de liens en liens, on se perdait aussi. On chantait On navigue sur le web. On était grisés. Internet n'était pas alors aussi gourmand en ressources qu'il l'est devenu depuis.

L'histoire du web s'est accélérée et il y a aujourd'hui trois attentes

Il y a ceux qui sont nés avec le web, ils ont aussi leur première fois à raconter. "J'ai connu internet à ses débuts, été sur un ordinateur à mes 5 ans, je suis curieux de nature, j'ai pu en connaître tellement grâce à cela, parfois à l'excès en passant beaucoup d'heures par jour." L'arrivée du web 2.0 les a accompagnés. Cet internet a perdu de son innocence avec les réseaux sociaux qui ont pris une grande place dans la vie. C'est comme si la machine s’emballait, comme si on ne pouvait plus maitriser la course aux messages, aux équipements digitaux, aux notifications, aux clics, aux automatismes des visionnages et aux sollicitations tous azimuts.

Malgré les différences de génération, beaucoup parlent aujourd'hui de faire un reboot. Beaucoup prennent dans le même temps conscience de la grande préciosité des réseaux qui permettent d'accéder à internet à l'heure où il faut faire plus attention que jamais à la question énergétique.

Voici ce qu'il est précieux de conserver de notre monde internet. Premièrement, l'ouverture et l'accès à la connaissance et à des espaces inédits. Deuxièmement, les liens avec les autres et le monde réel que permettent les échanges en ligne, "quand internet nous raccroche plus fort encore du monde réel". Troisièmement, le maintien du libre-arbitre et du contrôle de sa vie sur internet. Par exemple, on se met un timer pour dire stop.

Il y a un refus fondamental : ne pas perdre la relation aux autres

Il se manifeste de manière plurielle. Dans les relations commerciales, par exemple, untel va refuser de donner un pourboire de manière digitale à un livreur pour privilégier la main dans la main et les yeux dans les yeux pour manifester son contentement. Au travail, on s'interroge sérieusement sur ce qui fait tenir le collectif et on se rend bien compte que c'est par tous ces petits "mais au fait" que se solutionnent bien des choses. Et il a fallu passer par des confinements obligés pour réaliser qu'on a perdu de vue des gens que l'on a redécouverts depuis. Bref, on veut de la "densité sociale" vraie. La formule "densité sociale" est du sociologue Hartmut Rosa dans un article publié dans Philosophie magasine en 2022.

Dans un prochain épisode, nous aborderons la question de la sécurité sur internet dans la pluralité de ses formes.

Boucledor, Enora et Rosario, 15 novembre 2022


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