les services de gestion de la consommation d'énergie et eau

La consommation de l'énergie et de l'eau constitue un nouveau secteur d'innovations pour les entreprises opérant dans les domaines de l'internet et des télécommunications. Il s'agit de développer des services qui aident des particuliers ou des entreprises à consommer ces ressources de façon plus efficiente. Cet article discute l'intérêt et les limites potentiels de ces services pour les particuliers, au prisme d'une analyse des pratiques actuelles de consommation de l'énergie et de l'eau au domicile.

Avec l'émergence du thème du développement durable, les politiques publiques visent de plus en plus à inciter les citoyens à mieux maîtriser leur consommation d'énergie et d'eau dans l'habitat. Depuis quelques années, cette volonté de responsabilisation des citoyens s'appuie sur des programmes de conception de systèmes techniques dont l'objectif est d'aider les habitants à mieux contrôler l'utilisation de ces ressources (énergétiques en particulier ). Par exemple, il s'agit de développer des dispositifs électroniques (compteurs, afficheurs locaux) qui permettent aux habitants de suivre leur consommation d'électricité réelle globale ou par appareil. L'hypothèse sous-jacente au développement de ces systèmes est qu'en fournissant aux habitants des informations en temps réel sur leur consommation de telle ou telle ressource, ceux-ci changeront leurs comportements. Cette évolution ouvre de nouvelles perspectives de marché et d'innovations pour les acteurs de l'internet et des télécommunications dans la mesure où ces systèmes s'appuient sur les TIC, en particulier les technologies "M2M" (Machine to Machine).

 


Exemples de systèmes permettant de suivre la consommation de l'énergie et son coût à gauche : Wattson, à droite : Powercost monitor



Si l'intérêt de ces systèmes paraît plus ou moins évident pour les pouvoirs publics, les fournisseurs ou distributeurs d'énergie et d'eau (par ex. meilleure gestion des pics de consommation) ou les acteurs des TIC (nouveau marché), qu'en est-il pour les utilisateurs finaux potentiels que sont les habitants ? Quelles sont leurs éventuelles attentes ? En quoi ces systèmes peuvent-ils les aider ? Pour tenter d'apporter des réponses à ces questions, nous avons réalisé une étude des pratiques de consommation d'énergie et d'eau, dans le cadre d'un projet visant à développer des services d'aide à la gestion de l'énergie dans l'habitat. Cette enquête a consisté à interroger une dizaine de personnes dans dix foyers, ayant des profils sociodémographiques variés (8 couples et 2 solos).

entre pratiques économes et comportements laxistes

Les discours des enquêtés révèlent l'existence dans tous les foyers étudiés de deux sortes de pratiques : des pratiques économes et des pratiques laxistes. Les pratiques économes concernent toutes les ressources et consistent par exemple à baisser voire arrêter le chauffage en cas d'absence du foyer, dans les pièces peu occupées (lorsque ce contrôle est possible) ou au cours de la nuit; d'éteindre les éclairages en cas d'absence d'une pièce; d'acheter des appareils économes (par exemple, frigidaire ou machines à laver classés dans la catégorie A ou plus); ou de couper l'eau lorsqu'elle n'est pas directement utilisée. Dans les discours des enquêtés, ces pratiques apparaissent moins liées à la dimension écologique qu’à l'aspect financier (faire des économies).

"(…) Donc, c’est vraiment le facteur économique dans un premier temps. En plus, si euh, si ce facteur-là protège notre environnement, tant mieux voilà, mais euh…"

Les comportements laxistes correspondent à des pratiques qui ne sont pas contraintes par la recherche d'économies et se caractérisent par une sorte de "laisser-faire" : laisser la télévision allumée, laisser couler l'eau chaude pour garder une température plus confortable dans la salle de bains, laisser les appareils en veille, ou encore laisser l'ordinateur allumé pour y accéder rapidement.  Ce laisser-faire vise à éviter la réalisation d'actions considérées comme fastidieuses ou à créer un environnement confortable qui procure un bien-être, même si cela a un coût.  Autrement dit, ces pratiques sont pour l'essentiel orientées vers le confort.

 

"Dès qu'on est là [l'ordinateur] a tendance à être allumé parce que chaque fois que je l'éteins au bout de trois minutes je fais mince il me faut tel truc. La plupart du temps c'est pour utiliser internet."

 

"Moi je vis dans le confort, c'est-à-dire que, à la limite, si ça nous coûte plus cher, tant pis, on va pas avoir froid parce que euh, parce que ça va pas rentrer dans le budget. (…)"

Ces comportements se retrouvent chez quasiment tous les enquêtés et ne sont donc pas incompatibles avec l'adoption par les mêmes individus de pratiques économes, qui sont principalement mises en œuvre pour les appareils ou activités qui sont supposés consommer le plus (par exemple, le chauffage). Les enquêtés montrent une nette conscience du fait que leurs comportements laxistes consomment parfois inutilement les ressources, et les présentent comme de mauvaises habitudes qu'ils ont du mal à modifier.

 

 

"Je ne suis pas du genre à couper l'eau systématiquement quand je fais la vaisselle je commence à le faire pour les dents (…) et la douche j'ai encore du mal. (…) j'essaie de me faire violence (…) ça on a un gros effort là-dessus (…) Et puis quand vous faites la vaisselle, c’est vrai que c’est un peu pénible de rallumer toutes les minutes le robinet, vous lavez 2-3 verres, vous rallumez [silence] c’est vrai que voilà."

Outre la recherche de confort, nous avons identifié d'autres facteurs qui ont tendance à ne pas favoriser les pratiques économes. C'est le cas de l'eau en habitat collectif lorsque la facture est déterminée au prorata du nombre de m2 et non pas en fonction du nombre de personnes vivant dans le foyer. Certains enquêtés (solos) dont le mode de facturation est basé sur cette règle ont ainsi tendance à être moins attentif à leur consommation d'eau car ils estiment que ce calcul est injuste puisqu'ils paient la même chose qu'une famille plus nombreuse qui consomme beaucoup plus. Comme la recherche du confort, cette justification montre que la rationalité économique ne peut rendre compte de l'ensemble des modes de consommation des ressources dans l'habitat. Les rationalités qui sous-tendent ceux-ci sont beaucoup plus complexes et varient d'une situation à l'autre.

contraintes et difficultés dans la gestion et le suivi de la consommation d'énergie et d'eau

La consommation d'énergie est tout d'abord contrainte par les caractéristiques techniques des équipements auxquelles s'ajoute un manque de connaissance sur leur fonctionnement. Des enquêtés ont ainsi découvert au cours de l'entretien que  certains de leurs appareils étaient toujours en veille, ce qui n'est pas sans avoir un impact sur la consommation énergétique. De façon plus générale, le problème posé est celui de la visibilité de l'énergie consommée par les appareils.

 

"C'est une question de flemme personnelle qui fait que je n'ai pas envie de me pencher pour trouver la bonne prise à rebrancher du coup toute la journée elle est en mode veille cette télé. (…) encore une fois ça m'énerve de chercher qu'elle est la bonne prise donc je la laisse toujours branchée."

Une autre catégorie de problèmes concerne la gestion du chauffage et, tout d'abord l'obtention d'une température homogène dans le foyer. Ne pouvant obtenir une température "confortable" dans toutes les pièces, certains habitants sont conduits soit à augmenter de manière excessive la température globale du logement, soit à utiliser des chauffages d'appoint, impliquant une consommation moins optimale de l'énergie :

 

 

"Enfin, il y a un inconvénient. C’est que étant en duplex …Quand il fait voilà 19 en bas, il fait souvent beaucoup plus chaud ici. Et puis quand on veut avoir 20 ou 21 en base, il fait en fait 23 ici, ce qui est pas tenable."

Un deuxième problème se réfère au choix de la température lorsque le logement est occupé par plusieurs personnes qui ont des sensibilités thermiques différentes. Ceci donne parfois lieu à des pratiques de contournement comme dans l'exemple suivant :

 

 

"C’est rigolo, parce qu’en douce, parfois, je rajoute 1 ou 2… ½ degrés et lui il baisse. Moi je monte et lui il baisse… "

En outre, l'examen avec les enquêtés de leurs factures pendant les entretiens montre que l'information à laquelle ils prêtent le plus attention est la somme à payer. Les informations relatives à la "quantité" de ressources consommées (KWH, m3 d'eau) sont la plupart du temps ignorées car elles ne leur paraissent pas utiles à examiner, sauf lorsqu'ils remarquent un écart important par rapport aux sommes habituellement payées. Le même problème se pose avec les informations fournies par les compteurs d'eau ou d'électricité qui sont très rarement consultés. De façon générale, il apparaît que les enquêtés ont une compréhension très limitée de ces informations et ont des difficultés à établir des liens entre ce qu'ils paient et la "quantité" de ressources dépensées.
Un dernier problème concerne le suivi de la consommation des ressources. Ce suivi repose essentiellement sur les factures. Or celles-ci ne sont reçues qu'au bout d'une période de temps plus ou moins longue. Les habitants ne peuvent donc vérifier régulièrement leur consommation et adapter celle-ci le cas échéant.

 

 

"Alors, la facture d’eau, c’est vrai qu’on a eu un petit choc parce que les… les gens qui contrôlent les compteurs d’eau sont pas venus à la maison depuis 2006, et on a eu un petit rappel et là, on s’est rendu compte qu’on avait beaucoup plus consommé que ce qui était estimé."

perspectives

Si les systèmes de suivi de la consommation des ressources permettent réellement de faire des économies financières, ils présentent un intérêt potentiellement significatif pour des habitants dont les pratiques sont orientées vers ce type d'économie. Des études expérimentales vont dans ce sens : elles tendent à montrer que la mise en visibilité quotidienne de la consommation d'énergie induit une diminution de 5 à 15% de la facture énergétique.

Mais, ces systèmes risquent de se heurter aux logiques de consommation orientées vers le confort. La mise en visibilité de la consommation réelle et de son coût monétaire peut-elle véritablement induire une modification de ces comportements ? Des travaux explorent cette question en essayant de dégager des « techniques » de persuasion : par exemple, présenter des informations plus personnalisées ou dans une forme qui facilite la compréhension; fournir des conseils sur les « bonnes » manières de consommer; choisir des modes de visualisation ou de présentation de l'information qui captent l'attention, ...

Enfin, on peut s'interroger sur la pertinence de ces systèmes à plus long terme. Garderont-ils le même intérêt pour les habitants après une modification significative de leurs comportements ? Bien qu'elle ne traite pas directement cette question, une étude récente a montré une perte d'intérêt progressive pour des données de production et de consommation d'énergie dans des habitations alimentées en énergie solaire .


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