Les ingénieurs du chaos

Les ingénieurs du chaos, tel est le titre d'un ouvrage écrit par Giuliano da Empori en 2019, avec une postface écrite en 2022. Giuliano da Empori est un écrivain et journaliste italien. 

Dans l'introduction, il raconte le mouvement politique italien qui s'appelle Mouvement 5 Etoiles, Movimento 5 Stelle en italien, entièrement fondé sur le recueil des données des électeurs et sur la satisfaction de leurs demandes, indépendamment de toute base idéologique. Puis il nous fait aller en Angleterre autour Brexit et raconte que pour des mouvements politiques actuels, le crédo est : "Si vous voulez faire des progrès en politique, n’employez pas des experts ou des communicants, utilisez plutôt des physiciens". Ces propos sont ceux d'un directeur de la campagne du Brexit. Pour lui, c'est le le Carnaval. Un carnaval qui se nourrir de rage et de communication surpuissante.

Voici une présentation de son ouvrage chapitre par chapitre.

Chapitre premier. La Silicon Valley du populisme

Pour l'auteur, l’Italie est la Silicon Valley du populisme. Ce qui se joue est l’émergence d’une nouvelle forme politique façonnée par Internet et les nouvelles technologies. En Italie, dans l’algorithme post idéologique du Mouvement 5 Etoiles, qui a récolté 30% des votes en 2018, les techniciens ont les rênes.

Chapitre II. Le Netflix de la politique

Le Mouvement 5 Etoiles est une structure presque entièrement privée. Pour son propriétaire, internet est un levier de contrôle. Pour ses participants, une révolution démocratique. Il y a un total contrôle des données. C’est un parti-algorithme. Son concepteur en déclare ceci : "Nous garantissons un meilleur service et nous sommes plus efficaces pour porter les requêtes des citoyens dans les institutions […] la vieille partitocratie est comme un blockbuter, tandis que nous sommes comme Netflix."

Chapitre III. Waldo à la conquête de la planète

Waldo est une image de synthèse d’un petit ours bleu épaulant le présentateur d’un talk-show trash en Angleterre (Quand l'anti-système devient le système, les bouffons se muent en dictateurs... (radiofrance.fr)) Derrière se personnage se cache un trentenaire frustré. Il devient populaire. C’est l’histoire politique d’une colère. Il y a l’idée qu’il ne faut pas se fier aux experts mais à la sagesse des foules. Nous sommes habitués à voir nos désirs satisfaits, il y a une application pour tout. Pourquoi ce serait différent en politique ? Pour l'aureur, le rejet des élites et une "nouvelle impatience des peuples" font un ménage détonant. Une fausse information a 70% plus de chance d’être partagée qu’une information juste car elle est en générale plus originale. Et l’algorithme de YouTube pousse vers des contenus extrêmes. Il est facile de collecter des données et de les synthétiser en slogans.

Chapitre IV. Troll en chef

Steve Bannon, éminante grise de Donald Trump a participé au lancement de Internet Gaming Enternainment, entreprise de jeux qui a exploité la popularité de World of Wordcraf. Flashback : il y a le business de ceux qui souhaitent progresser dans le jeu de manière achetée, ce qui provoque l’ire des vrais joueurs. Steve Bannon comprend là quelque chose dans ces communautés. Une dynamique dont il se sert politiquement.

Chapitre V. Drôle de couple à Budapest

Des analyses démographiques sophistiquées et des sondages en sorties d’urnes combinés à du community management puissant et des campagnes de phoning, voilà qui a bien porté ses fruits dans le camp républicain. Même schéma en Israël. Puis en Hongrie en faveur du mouvement souverainiste.

Chapitre VI. Les physiciens

Ce chapitre est vraiment important. 

Voici l'extrait d'une interview d'un d’un physicien à Berne : "En physique, le comportement de chaque molécule n’est pas prévisible, étant donné que chacune d’entre elles est soumise à des interactions avec une infinité d’autres. Le comportement de l’agrégat est en revanche prévisible, car à travers l’observation du système il est possible de déduire le comportement moyen. Les interactions comptent davantage que la nature des unités, et le système pris dans son ensemble a des caractéristiques – et obéit à des règles – qui en rendent prévisible les évolutions. Les lois de la physique s’appliquent aux comportements humains agrégés."

Les données pour appliquer les lois physiques aux agrégats humains existent désormais.

En physique quantique, nous savons que les atomes peuvent être scindés et qu’ils renferment des particules dont le comportement est largement imprévisible – elles bougent au gré du hasard et ont une identité tellement faible que le seul fait de les observer modifie leur comportement.

"Et là intervient l’avantage compétitif du physicien, qui contrairement au politique, est habitué à travailler avec une quantité infinie de données... Chaque fois que tu optimises les paramètres, tu modifies le système, donc tu dois à nouveau obtenir des données pour comprendre de quelle manière, pour ensuite optimiser de nouveau et ainsi de suite, dans un cycle quasi infini."

C’est ainsi que ça a fonctionné pour le Brexit, avec construction adhoc des messages avec corrections éventuelles très rapides. On peut désormais aborder les arguments les plus controversés en les adressant seulement à ceux qui y sont sensibles, sans prendre le risque de perdre le soutien des autres électeurs qui pensent différemment.

Le jeu démocratique traditionnel avait une tendance centripète : gagnait celui qui réussissait à occuper le centre de l’échiquier politique. Le monde des physiciens fonctionne différemment. Créer le consensus compte beaucoup moins, vu que, la "foule", "masse compacte", a été abolie au profit d’une réunion d’individus séparés, chacun d’entre eux pouvant être suivi dans les moindres détails. Il est plus efficace d'identifie les thèmes qui comptent pour chacun. La science des physiciens permet de mener campagnes séparées. La politique devient centrifuge. Du coup, dans la communication pour tous, aurant être creux !

Conclusion. L’âge de la politique quantique

Les algorithmes mis au point par les "ingénieurs du chaos" donnent à chacun l’impression d’être au cœur d’un soulèvement historique, et d’être enfin devenu l’acteur d’une histoire qu’il croyait être condamné à subir passivement.

« Take back control » est le slogan du Brexit.

et en effet, pour chacun, avoir le contrôle sur son destin, ou avir ce sentiment, c’est vital.

Les "ingénieurs du chaos" ont très bien compris cela. Et dans un contexte de crise patrimoniale, la crainte répandue de perdre son patrimoine matériel, son niveau de vie, et son patrimoine immatériel, son style de vie, ils ont alimenté les tenants des fermetures. Au mépris des lois sur la récolte des données. A noter là que la campagne du Brexit fait aujourd’hui l’objet d’une enquête.

Avec la "politique quantique", la réalité objective n’existe pas soutient Giuliano da Empori. "Chaque chose se définit, provisoirement, en relation avec quelque chose d’autre et, surtout, chaque observateur détermine sa propre réalité. Dans la politique quantique, la version du monde que chacun de nous voit est littéralement invisible aux yeux des autres. Ce qui écarte de plus en plus la possibilité d’une entente. Ce ne sont plus nos opinions sur les faits qui nous divisent, mais les faits eux-mêmes."

Postface, écrite après le Covid et le début de la guerre en Ukraine

Trois choses importantes ce sont passées. 1. Des dirigeants ont réagi en augmentant la rage du chaos. Et là, l’opinion publique ne les a pas suivis. 2. Les grandes plateformes numériques ont pour, la première fois, tenté de limiter la diffusion des fake news. 3. L’Europe apparait à nouveau protectrice.

En même temps, la pandémie n’a fait qu’accélérer le déploiement de la politique quantique par les enfermements, physique, sans son cocon tout autant, qu'elle a occasionnés. 

 

Note de lecture rédigée par Rosario, septembre 2023


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