Vies de café

Dans ce billet, rassemblons différents extraits de livres publiés au fil du temps sur les réseaux sociaux de Dream Café dans lesquels il est question de vie de café. 

La cuisine de l'exil, Stéphanie Schatzbrod

"La première année, j'ai beaucoup observé la vie des Français quand j'allais me promener à Port-de-Bouc. Nous ne mangions jamais au restaurant car nous n'avions pas assez d'argent, on se contentait d'aller chez Mammouth. Avec mon mari, nous observions les Français à la terrasse des cafés et nous essayions de faire comme eux... Quand il y avait beaucoup de monde, on ne s'arrêtait pas, on allait dans des cafés moins fréquentés car on était très pudiques et très timides et on restait tout l'après-midi." p. 113.

Sur la route du Danube, Emmanuel Ruben

"Le Jean-Bart est le dernier café d'une Europe danubienne qui en compte des milliers. Je parie que si nous prenions tous ceux d'Ulm, de Ratisbonne, de Passau, de Vienne, de Brastislava, de Budapest, de Nivi Sad, de Belgrade, et que nous les disséminions au long du fleuve, de ses sources au lieu où je me trouve à présent, nous obtiendrions le moyenne de dix cafés par kilomètre, soit 28 000 cafés et des poussières : ainsi serait confirmée la théorie de George Steiner selon laquelle ce qui fait l'Europe, ce n'est pas le charbon ni l'acier, ni les racines judéo-chrétiennes ou je ne sais quelle unité dans la diversité, mais la densité des cafés ; avec cette différence qu'à l'ouest le breuvage se boit filtré ou à l'italienne, expresso, après percolation, tandis qu'à l'est il se boit à la turque, bouilli dans son marc." p. 110.

Lisières, Kapla Kassabova

"C'est ici, à la dérobée de l'Europe, et plus précisément dans une minuscule échoppe de plein air appelée Dream Café, où l'on servait du pudding de semoule saupoudré de cannelle et un expresso italien, que j'aperçus une mine insouciante et une veste à la Gatsby le Magnifique qui me disaient quelque chose." p. 317.

Les déliés, Sandrine Roudaut

"Aucun cybercafé n’était véritablement un café. Leur nom était venu d’une utopie californienne : le Cyber au service d’un Commun Access For Everyone, CAFE. Y avait-il plus belle intention ? Quand on remontait les origines une date était confondante. Internet n’existait pas encore mais dix ans avant des artistes voulant se mettre en lien avaient créé le « café électronique ». Cet ancêtre du cybercafé avait ouvert à Santa Monica. Il avait ouvert en 1984, année mythique. Comme une tentative de conjuration du roman d’Orwell. Les cybercafés pour contrer les télécrans. Ses parents qui se passionnaient pour les cybercafés lui avaient conté maintes fois cette histoire à une époque où tout le monde pensait qu’internet serait une arme du savoir partagé et de la mise en lien, donc l’arme parfaite pour libérer le pouvoir citoyen. Le retour des cyberlieux sonnait, peut-être la volonté de reprendre là où on l’avait laissé l’utopie des années plus tôt. Mù sourit à Aaron qui tenait le cybercafé." p. 43.

Amazonia, Patrick Deville

"Après cette folie de l'or était venue celle du café. Les esclaves étaient passés de la mine au champ. S l'Europe avait acclimaté nombre de végétaux du Nouveau Monde, le café avait été imposé à celui-ci tel un fléau abattu sur son sol. C'est qu'il y a loin de l'arbuste au percolateur. Tout avait commencé par un berger assis devant quelques chèvres d'Abyssinie, hystériques de s'être enfilé les baies rouges d'un arbuste. Le berger, qui s'ennuie, les envie. Ça n'est pas très bon. Surtout c'est sans effet. C'est dans le noyau que ça se passe. L'homme recrache, baisse rarement les bras quand il s'agit de donner du piquant à la vie. On grille les deux grains du noyau, les écrase dans l'eau bouillante. Les Arabes chargent leurs boutres de ces cerises excitantes. On tentera plus tard de prohiber le breuvage, au Caire puis à Istanbul. C'est peine perdue. On renforce au contraire l'effet psychotrope du jus noir en le mêlant à la cardamone. Au contact des Turcs ouvrent les premiers cafés viennois. Voilà le lieu et la boisson associés. Ils stimuleront la conversation, bientôt la rédaction des pamphlets et des libelles. Par un des ces paradoxes de l'histoire de l'humanité est friande, ces grains, cueillis par des esclaves, avaient favorisé l'apparition de l'esprit libéral en Europe, l'addiction à la liberté d'expression". p. 35-36.

Les furtifs, Alain Damasio

"A 17 heures, je suis allé m'asseoir sur le terrasse d'un café, (...). C'était un "café efficace", disons. Un café, qui, comme la plupart, depuis que la ville avait été privatisée, n'était plus du tout un lieu de braillades, de petits vieux, d'échanges ou de cuites complices mais un ersatz de bureau pour les travailleurs auto-entrepris. Un fiflow comme ils disaient : "Free Office For Liberal Open Workers". Personne ne prenait plus la peine de s'y regarder, d'y tenter un flirt ou un tchin: on cobossait sans même se voir, le brightphone pluggé dans le hub de la table, le plateau relevé à 60° servant d'écran et dressant, de toute façon, un muret sans appel entre le client et le monde, encore redoublé par le cocon du casque. La convivialité 2040." p. 68.

Delhi, Rana Dasgupta

"L'innovation la plus visible dans le domaine de la consommation fut sans doute l'apparition de chaînes de cafés, qui ouvrirent des coffee bars à une vitesse incroyable, attirant toute une jeunesse qui cherchait des endroits où sortir. Ces nouveaux cafés permettaient d'avoir des conversations différentes de celles qu'on avait à la maison ou au bureau ; le week-end, ils s'emplissaient de joyeux bavardages." p. 118.

Le bain japonais, Akira Mizubayashi

"Hommes et femmes, jeunes et vieux qui s'apprêtent à aller ensemble aux bains publics, voilà un spectacle que l'on voit familièrement dans les rues de Tokyo... Si, un jour, on essaie de tracer la genèse, au Japon, des institutions formatrices de ce que Jürgen Habermas appelle l'espace public, et si une telle enquête peut avoir un sens dans une perspective scientifique de l'histoire du Japon, il ne faudra pas oublier de prendre en compte le sentô qui a joué peut-être un rôle semblable à celui du café dans le monde occidental." p. 29.

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